CHAPITRE 15 LES SIGNAUX
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Le but de l'entame réussie, nous venons
de le voir, est de limiter le plus possible le nombre de levées du
déclarant. Il est arrivé que l'entame soit en même temps un signal pour le
partenaire. Dans le présent chapitre, nous comblerons les "trous" du
chapitre précèdent en tant qu'il touchait à l'entame-signal, mais
l'essentiel des lignes qui vont suivre porte sur le signal par une carte
jouée ailleurs qu'à l'entame.
1. SIGNAL PAR LA défausse
Rappelons-le, une défausse, c'est une carte qui n'est pas de la couleur
demandée, dont je n'ai pas, mais qui n'est pas non plus de la couleur
d'atout.
1.1 défausse standard : la plus
employée. Je défausse gros (6 en montant) dans une couleur que je
souhaite, et petit dans une couleur dont je n'aimerais pas le retour par
mon partenaire. Ici comme ailleurs, il y a des situations (notamment
lorsqu'il est clair que mon partenaire n'a rien, et conséquemment ne
prendra jamais la main) ou il peut s'avérer plus profitable d'effectuer
une défausse déceptive, pour tromper l'adversaire.
1.2 défausse inversée : l'inverse
de la défausse standard. Petit de la couleur appelle cette couleur, gros
nie l'intérêt. La théorie sur laquelle s'appuie cette pratique est simple,
pleine de bon sens : il est quelquefois difficile de se départir d'une
grosse carte dans une couleur forte que je veux établir; inversement, une
carte intermédiaire dans une couleur qui ne m'intéresse pas ne devrait pas
me coéter trop.
1.3 défausse romaine : défausse
très intéressante, comme la suivante. Elle offre en effet plus d'une
façon d'indiquer une couleur désirée. Une carte impaire indique que
l'on veut cette couleur, une grosse carte paire montre le désir de la
couleur juste au-dessus de celle-ci, alors qu'une petite carte paire
montre la préférence pour la couleur juste en-dessous de celle-ci.
Deux précisions sur ce signal, qui valent,
mutatis mutandis, pour la signalisation décrite en d). D'abord, je peux
signaler en "sautant" une couleur évidente : contre atout, le 2 ou le 4
demandera un retour s'il
est clair que je ne peux vouloir de . Deuxièmement, et dans le sens de cette première précision,
le signal par carte paire d'une couleur que je ne veux manifestement pas
constitue une façon de dire au partenaire : "Je n'ai rien à te signaler",
ou encore "J'ai peut-être quelque chose à te signaler, mais je n'ai pas
les cartes pour le faire." De toute maniére, les usagers de la défausse
romaine doivent toujours considérer la carte paire comme un signal relatif
à la carte impaire constituant un signal beaucoup plus impératif. Ces
nuances de signification de la carte paire se préciseront à mesure de
l'emploi de ce système. Notons aussi que ces systèmes de défausse
fonctionnent d'abord pour la 1re défausse, leur précision
s'estompant avec les défausses ultérieures. J'aime dire que je joue la
défausse romaine pour "la première défausse et demie".
Le terme défausse romaine, cependant,
s'applique aussi à une variante de ce qui précède. La défausse
paire est de type Lavinthal : contre 4 , la défausse d'un petit paire ne demande pas la couleur immédiatement
en-dessous, mais la plus basse des couleurs restantes, soit le . Cette variante est plus fréquente que la
version présentée ici comme standard. Elle est généralement pair-impair.
1.4 défausse circulaire. Je traduis
ici de mon mieux l'expression "revolving discard". Ici, les quatre
couleurs sont perçues comme une porte circulaire, la dernière amenant la
première, comme dans une chaine sans fin. Il y a deux sortes de défausses
"circulaires".
1.4.1 Petit d'une couleur appelle la
couleur inférieure à cette couleur; gros d'une couleur appelle la couleur
supérieure à cette couleur.
1.4.2 Petit demande la plus faible en rang
des deux autres couleurs (i.e., autres que l'atout et la couleur jouée),
gros demande la plus forte en rang des deux autres couleurs. Lavinthal
a été un ardent promoteur de cette signalisation, si bien que le nom lui
est resté. On notera cependant que le "Lavinthal" se joue moins sur la
défausse que sur la carte qu'on joue alors qu'on sait que le partenaire va
la remporter - histoire de lui dire dans quelle couleur revenir. Notons
que cette signalisation est "circulaire" par un exemple, au cas où la
théorie énoncée plus haut manquerait de clarté. Lors d'un contrat de 4, la défausse du 8 de indique le désir d'un
retour , cette couleur
étant "plus haute" que le ,
puisqu'après , on
retombe à . La défausse
Lavinthal recèle un atout majeur : la couleur défaussée ne m'intéresse
pas. Il y a donc coïncidence, ici, entre le manque d'intérêt et le
débarras. En d'autres mots, je ne perds rien. Alors que dans les autres
types de défausses, je suis quelquefois forcé de signaler avec une carte
d'une couleur intéressante (j'aurai peut-être besoin de cette carte, par
exemple parce qu'elle sera éventuellement affranchie) ou alors de devoir
sacrifier une carte intéressante dans une couleur qui m'intéresse. La
défausse Lavinthal est, à mon sens, la meilleure défausse.
1.5 défausse paire-impaire : présentée plus haut comme une
variante de la défausse romaine, en c).
1.6 défausse numérique : peu
employée, elle est plutôt originale. La défausse d'un 2 ou d'un 3 (de
n'importe quelle couleur - sauf l'atout, bien sûr) demande un retour ; un 4 ou un 5, un retour ; un 6 ou un 7, un retour
; un 8 ou un 9, un retour
. Ici, comme dans tous
les autres systèmes de défausse, le fait de défausser une carte qui
indique une couleur évidemment non désirée, est une façon de dire :
"Partenaire, je n'ai rien à te signaler; ou alors, si j'ai quelque chose
d'intéressant, je n'ai pas les cartes pour te le signifier."
2. SIGNAL SUR LA CARTE JOUÉE PAR LE
PARTENAIRE
Ce qui a été écrit plus haut sur la
défausse standard et la défausse inversée s'applique ici : je manifeste
mon intérêt dans la couleur jouée par le partenaire par une grosse carte
(méthode standard) ou par une petite carte (méthode inversée), et
vice-versa. Pour être plus précis, notons que la méthode standard prend
tout son sens dans ce qu'on appelle "l'attitude" : gros, suivi d'un
petit, encourage. Si, par exemple, je fournis un 8 dans la couleur du
partenaire, et que le coup d'après, toujours dans la même couleur, je joue
un 10, je décourage : comment pourrais-je lui dire autrement en méthode
standard de ne pas revenir si j'ai seulement le 9 et le 10 (Si, par
contre, je veux, dans ce cas, signaler à mon partenaire de continuer -
parce que je veux couper, par exemple -, je commence par le 10, suivi du
9). Cette technique, cette "attitude", élargit les possibilités de la
méthode standard.
De même, le système inversé, de plus en
plus populaire, peut se jouer avec une variante peu connue que je vous
livre ici. A défaut d'un autre vocable, appellons-le " système libanais",
deux excellents joueurs libanais m'ayant appris ce système. Sur l'entame
du partenaire, petit appelle (jusque là, c'est la méthode inversée), un
gros pair indique une préférence pour la plus haute des deux autres
couleurs, et un gros impair, une préférence pour la plus basse des deux
autres couleurs. Quelques mises au point cependant : ce système est conçu
pour l'entame d'un honneur majeur (ARD), ou alors, si le déclarant joue un
honneur majeur du mort. En effet, si mon partenaire joue petit et le mort
aussi, je suis forcé de jouer une grosse carte dans cette couleur, pour
appuyer le partenaire, dont la petite carte indique la possession d'un
honneur, mais je n'affirme pas par là le désir d'un retour dans la plus
haute des deux autres couleurs si ma grosse carte était paire, ni le désir
d'un retour dans la plus basse des deux autres couleurs si ma grosse carte
était impaire. Enfin, dernière précision, lorsqu'il est clair que je ne
veux pas d'une continuation de la couleur du partenaire, une grosse carte
indique le désir de la plus haute des deux autres couleurs. Bien sûr, ces
signaux de préférence par pair/impair dans le système libanais doivent
toujours être utilisés comme "tendant à montrer", puisque je peux être
forcé de jouer une grosse carte sans désirer un retour dans une des deux
autres couleurs. En somme, ce qui prime, dans ce système, c'est que petit
appelle.
3. FOURNIR SUR LA CARTE ADVERSAIRE
3.1 On peut employer, au gré de l'entente
entre partenaires, tout ce qui a été dit précèdemment. Certains, par
exemple, emploient un système "Lavinthal" : une grosse carte sur la carte
adversaire signifie :"Je veux que tu joues dans la plus forte des deux
autres (autres que cette couleur et l'atout) et vice-versa.
3.2 Un autre système consiste à
donner le compte de la couleur jouée en termes de parité : jouer d'abord
gros, puis petit, indique que j'ai un nombre pair de cette couleur (2 ou 4
: à moins, évidemment, que ce soit un singleton); jouer en montant
signifie au contraire que j'en ai un nombre impair (en pratique, 3 ou 5).
Ce système permet au partenaire de reconstruire le compte global des mains
facilement. Ceux qui jouent les signaux inversés sur la carte du
partenaire et sur les défausses étendent en général le principe de
l'inversion au compte des mains : haut et bas montrent un chiffre impair;
en montant, un chiffre pair.
Quel est le meilleur de ces systèmes ? En principe, il s'avère plus
conforme à l'intelligence du bridge de pratiquer le compte de la couleur.
Mais dans la pratique, ce n'est pas toujours le cas. Il arrive un certain
nombre de fois que le compte est beaucoup moins important et/ou pressant
que la préférence. Encore une fois, le bridge est affaire de jugement.
4.
DIVERS
4.1 Jouer la dame sur le roi du
partenaire implique la possession du valet. Ce signal est très utile
quand l'entameur cherche par tous les moyens à donner la main à son
partenaire, lorsque c'est une condition de chute du contrat.
4.2 Le "Lavinthal de coupe"
peut aussi se donner par la quatrième main : le déclarant joue une
couleur; votre partenaire, Deuxième à jouer, coupe; vous êtes donc en
quatrième position, votre partenaire se meurt de savoir si vous avez un as
: il jouera dans cette couleur pour que vous lui donniez une seconde coupe
dans la couleur qu'il vient de couper. Vous jouez petit, vous voulez un
retour dans la plus basse des deux autres couleurs dans laquelle vous avez
l'as. En somme, la couleur à retourner par votre partenaire prime ici
largement sur le compte des mains.
4.3 L'écho en atout : en signalisation standard, je
fournis haut et bas sur les atouts joués par le déclarant pour indiquer à
mon partenaire la possession d'un troisième atout. On emploie ce procédé
pour montrer au partenaire qu'on est en état de couper s'il reprend la
main avant que ne soit retiré le troisième atout. On veut aussi par là
donner le compte de la couleur.
Cependant, un emploi très pratiqué, et assez simple, consiste à donner
une préférence de type Lavinthal par l'ordre des atouts fournis. Par
exemple, en défense contre un contrat de 4, je fournirai 8,3,2 en atout pour indiquer une préférence
pour le coeur; de même, 2,3,8 demande un retour tréfle; enfin, 2,8,3
constitue le compte normal (on doit toujours donner le compte présent :
réduit à 8,3, je jouerai d'abord le 8) et n'indique rien, sinon peut-être
le désir d'un retour carreau. Certaines paires raffinent et décident que
le compte 3,8,2 demanderait ici du carreau - soit ni la plus basse, ni la
plus haute, ni le compte standard. Et si on veut raffiner à l'extrême, on
distinguerait encore entre 3,8,2, et 3 2,8. Il faudrait alors trouver une
signification valable à cette quatrième information... Mieux encore, la
combinatoire nous apprend que le nombre de combinaisons correspond au
nombre factoriel d'éléments. Soit, ici, 3 factoriel = six possibilités.
Soit 238, 183, 328, 382, 832,823. On pourrait, par exemple, signaler ainsi
contre un contrat à :
832 : "Je veux du coeur, et j'ai au moins un as" ; 823 : "Je veux du coeur
et je n'ai pas d'as dans ma main". S'il s'agit de quatre cartes (disons
que vous tenez le 2356 d'atout et que le déclarant procède à leur
extraction ) , les possibilités se chiffrent maintenant à 24. Il suit
qu'un schéma bien étudié, chez une paire disciplinée et possédant ce type
de faculté intellectuelle, pourrait procurer, au cours de la main, une
richesse dévastatrice d'information. Il est évident que les renseignements
seraient indiqués en ordre prioritaire. Par exemple, l'ordre pourrait être
: couleur de retour désirée, distribution complète, contrôles (as ou
rois). On pourrait même concevoir une séquence de compte qui indiquerait :
"Partenaire, je ne veux pas révéler ce que j'ai. Si donc le déclarant veut
s'informer, tu lui révèles que ma séquence est précisément destinée... à
ne rien révéler !" Mieux encore, la signalisation pourrait changer selon
le type de contrat. Zia Mahmood, l'un des as du bridge moderne, a écrit en
collaboration un livre sur toutes les subtilités de la signalisation. Au
moment où j'écris ces lignes, le livre n'aurait pas rejoint encore les
rives de Montréal. J'ai hâte de le parcourir !
Une inférence pratique de ces
considérations doit être signalée. La nette majorité des défenseurs jouent
leurs cartes trop vite. Ils ne les "digèrent" pas. Si on arrêtait le jeu à
la huitième carte pour demander : "Dans quel ordre votre partenaire a-t-il
joué les atouts à la deuxième, troisième et quatrième carte ?", plusieurs
préféraient changer le sujet...
Quelques théoriciens modernes, à la suite
de Vinje, utilisent l'écho en atout pour donner à leur partenaire une idée
globale de la distribution : l'écho (haut et bas) indique une main où une
des quatre couleurs est un nombre pair, et bas et haut, qu'ils ne tiennent
qu'une couleur dont le nombre est impair. On aura remarqué, en effet,
qu'avec 13 cartes, on doit avoir trois des quatre couleurs d'une parité
identique, et la quatrième couleur d'une parité inverse. Le fondement de
la théorie de Vinje consiste dans le fait que la connaissance globale
rapide de la distribution du partenaire me permet, en me référant aux
enchères, de saisir avec un degré de certitude généralement instantané et
élevé la distribution des quatre mains. Si bien que je connais par le fait
même le nombre d'atouts de mon partenaire. Si jamais cette connaissance
n'était pas certaine, je supposerais quand même chez le partenaire le
nombre d'atouts désiré si nous avons besoin d'une coupe pour faire chuter
le contrat. Une conséquence intéressante du compte Vinje consiste dans
l'utilisation des cartes que je joue sur les couleurs jouées par le
déclarant ou le mort comme signal de préférence. Une autre
conséquence, plus diffuse celle-là, touche la qualité même du jeu en
défense : le compte Vinje vous oblige à penser la défense
d'une manière intelligente, i.e., comme un tout.
4.4 Le signal de la "deuxième carte"
: Vous jouez contre 4.
Vous avez en D862. Le
déclarant joue .
Supposons que vous décidez que le compte des carreaux sera important pour
la défense. Comment alors pourrez-vous en même temps donner une préférence
? Vous commencez par donner le compte de la couleur en jouant le 8, puis,
à la Deuxième carte de ,
vous donnez la préférence pour en
jouant le 2. Le
principe est simple : une fois établi le compte de la couleur,
lorsqu'il est préférable de donner celui-ci, la Deuxième carte indique
la préférence. A ceci près que si vous donnez le compte présent,
soit ici le 2, vous ne
montrez pas nécessairement le désir d'un retour par le partenaire. Vous affirmez clairement
ne pas vouloir de (à
moins de ne posséder que deux en
tout!), et vous laissez entendre que si vous voulez une couleur,
c'est . Inversement, si
vous aviez joué comme deuxième carte le 6 de , il devient clair pour votre partenaire, dès
l'instant où il connait le nombre de vos , que vous voulez du .
Ici, en effet, pas de "superposition" entre le compte présent et le signal
de préférence. Ces deux signaux se succèdent tout simplement à l'intérieur
de la même couleur.
5. CONCLUSION
Quel système de défense adopter ? Le
premier principe à suivre : employez le système de défense dans lequel
vous vous sentez à l'aise. même si un mathématicien vous prouvait que
votre système est légèrement inférieur à tel autre, la somme d'énergie que
sa connaturalité avec vous permet de dégager constituera une ample
compensation. Deuxième principe : objectivement, on doit se rendre à
l'évidence que certains systèmes sont meilleurs que d'autres. Je range
dans cette catégorie d'excellence la défausse romaine ou la défausse
Lavinthal, les signaux inversés et le compte Vinje. Je crois
qu'idéalement, il faudrait opter pour au moins un de ces systèmes. On peut
même jouer les trois systèmes, car on peut considérer, comme plusieurs,
utile de donner le compte d'au moins une couleur malgré le compte Vinje,
pour plus de certitude. Une précision : j'utilise avec profit une extension
de la défausse romaine : sur une grosse carte jouée par le
partenaire dans une couleur reconnue comme abondante chez moi (au moins
cinq cartes), je réponds "romain" : une carte impaire appelle la
continuation de la couleur, un gros pair demande de jouer dans la plus
haute des deux couleurs restantes, un petit pair demande la plus basse.
On ne redira jamais assez comment le
bridge est affaire de jugement. Le défenseur, par delà les systèmes, doit
toujours se poser quelques questions générales, entre autres : les
enchères, et la vue du mort, m'indiquent une défense offensive ou
défensive ? En d'autres mots, est-il urgent de crier à mon partenaire le
retour pressant dans une couleur plus que dans une autre ? Ou alors, le
compte des mains - comme c'est généralement le cas - prime-t-il ? Par
exemple, si je dois au plus vite indiquer un changement de couleur, tout
autre système que la préférence tombe, mon partenaire comprenant l'urgence
de l'information. En somme, quelque système que l'on choisisse, il faut
toujours l'utiliser dans la perspective de la main présente.
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